PoèmesLes horloges

Les horloges

Les horloges et leur effroi

C’est un cauchemar d’enfance que je refais parfois : ne pas me réveiller pour un rendez-vous majeur, être paralysé devant ma copie alors que l’heure tourne, sentir que le temps m’échappe totalement.

À l’heure où beaucoup de jeunes étudiants – dont un de mes fils – passent leurs concours, ces images angoissantes reviennent et je repense à ce poème appris au collège, « Les horloges », d’Émile Verhaeren. Évoque-t-il un cauchemar d’enfant ? Ou sa peur de mourir ? Animées d’une vie fantastique, les horloges deviennent des créatures inquiétantes qui incarnent la fuite inexorable du temps.

Émile Verhaeren (1855-1916) est un poète belge flamand qui apprit très tôt la langue française et l’adopta définitivement pour rencontrer et côtoyer à Bruxelles des écrivains et des artistes d’avant-garde, le faisant abandonner ses études de droit au profit de la poésie et du théâtre.

J’aime ce poème qui m’intriguait adolescent, pour sa mélancolie et sa musicalité et dont le caractère dérangeant s’estompe avec le temps …

Bonne lecture !

Laurent Malhomme
Vice-Président

 

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Les horloges

La nuit, dans le silence en noir de nos demeures,
Béquilles et bâtons, qui se cognent, là-bas ;
Montant et dévalant les escaliers des heures,
Les horloges, avec leurs pas ;

Émaux naïfs derrière un verre, emblèmes
Et fleurs d’antan, chiffres et camaïeux,
Lunes des corridors vides et blêmes
Les horloges, avec leurs yeux ;

Sons morts, notes de plomb, marteaux et limes,
Boutique en bois de mots sournois
Et le babil des secondes minimes,
Les horloges, avec leurs voix ;

Gaines de chêne et bornes d’ombre,
Cercueils scellés dans le mur froid,
Vieux os du temps que grignote le nombre,
Les horloges et leur effroi ;

Les horloges
Volontaires et vigilantes,
Pareilles aux vieilles servantes
Boitant de leurs sabots ou glissant sur leurs bas,
Les horloges que j’interroge
Serrent ma peur en leur compas.

Émile Verhaeren, Les Bords de la Route (1895)

Illustration : Salvador Dali, La Persistance de la mémoire (1931)

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