PoèmesLa Frégate La Sérieuse

La Frégate La Sérieuse

La mer, source d’évasion et d’inspiration

Partie le 4 septembre dernier, la navigatrice sud-africaine Kirsten Neuschäfer a remporté jeudi, après huit mois passés en mer, la Golden Globe Race.

Elle est entrée dans l’histoire en devenant la première femme à remporter une course autour du monde et a réalisé un véritable exploit : un tour du globe seule, sans escale, sans assistance et sans moyens technologiques, obligeant à naviguer « à l’ancienne », au sextant, à la table à carte ou à la boussole, et sans téléphone donc sans nouvelles de ses proches.

Elle aura traversé durant son voyage les trois caps de référence : Bonne-Espérance, au sud de l’Afrique, Leeuwin, au sud de l’Australie et Horn, à la pointe sud de l’Amérique.

Autant dire que l’épopée de cette femme m’a fait rêver et m’a permis de replonger avec délice dans les plus beaux poèmes célébrant la mer, l’aventure et le voyage.

J’ai finalement choisi « La frégate La Sérieuse ou la plainte du capitaine » dont j’ai mis des extraits car il est très long (dix-sept strophes). Figure emblématique du romantisme et ami de Victor Hugo, Alfred de Vigny entame une carrière militaire dans la marine avant de se tourner vers les milieux littéraires et d’écrire ces « Poèmes antiques et modernes ».

J’aime ce poème par son rythme enlevé et son souffle qui nous transportent sur la crête des vagues, au gré du vent et des courants.

Ca y est, vous êtes partis à l’autre bout du globe? Alors, bon vent et bonne lecture !

Anne Capron
Vice-Présidente

 

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I
Qu’elle était belle, ma Frégate,
Lorsqu’elle voguait dans le vent !
Elle avait, au soleil levant,
Toutes les couleurs de l’agate ;
Ses voiles luisaient le matin
Comme des ballons de satin ;
Sa quille mince, longue et plate,
Portait deux bandes d’écarlate
Sur vingt-quatre canons cachés ;
Ses mâts, en arrière penchés,
Paraissaient à demi couchés.
Dix fois plus vive qu’un pirate,
En cent jours du Havre à Surate
Elle nous emporta souvent.
— Qu’elle était belle, ma Frégate,
Lorsqu’elle voguait dans le vent !

[…]

III

Quand la belle Sérieuse
Pour l’Egypte appareilla,
Sa figure gracieuse
Avant le jour s’éveilla ;
A la lueur des étoiles
Elle déploya ses voiles,
Leurs cordages et leurs toiles,
Comme de larges réseaux,
Avec ce long bruit qui tremble,
Qui se prolonge et ressemble
Aux bruits des ailes qu’ensemble
Ouvre une troupe d’oiseaux.

VIII

Quel plaisir d’aller si vite
Et de voir son pavillon,
Loin des terres qu’il évite,
Tracer un noble sillon !
Au large on voit mieux le monde,
Et sa tête énorme et ronde
Qui se balance et qui gronde
Comme éprouvant un affront,
Parce que l’homme se joue
De sa force, et que la proue,
Ainsi qu’une lourde roue,
Fend sa route sur son front.

X

Et surtout La Sérieuse
Était belle nuit et jour;
La mer, douce et curieuse,
La portait avec amour,
Comme un vieux lion abaisse
Sa longue crinière épaisse,
Et, sans l’agiter, y laisse
Se jouer le lionceau ;
Comme sur sa tête agile
Une femme tient l’argile,
Ou le jonc souple et fragile
D’un mystérieux berceau.

Alfred de Vigny (1797-1863), Poèmes antiques et modernes, 1826.

Illustration : Kirsten Neuschäffer, à bord de son petit monocoque vieux de 35 ans baptisé Minnehaha

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