Actualites« J’ai besoin d’avoir l’électricité de l’humanité autour de moi » : Entretien avec Carl Norac, gagnant du prix APPF 2022

« J’ai besoin d’avoir l’électricité de l’humanité autour de moi » : Entretien avec Carl Norac, gagnant du prix APPF 2022

Article réalisé par Juliette de La Morandière, stagiaire pour l’APPF 

Lors de la dernière édition du Marché de La Poésie, Anne Capron et moi-même avons eu la chance de nous entretenir avec Carl Norac, gagnant du prix APPF 2022. A cette occasion, il dédicaçait son ouvrage récompensé Un verre d’eau glacée.

Pour nos lecteurs qui ne le connaissent pas, Carl Norac est un poète et auteur de littérature pour la jeunesse. Fils du poète Pierre Coran et d’Irène Coran, institutrice et passionnée de représentation poétique, Carl a grandi dans la poésie à travers « l’oralité et la position précise du geste ». Il commence sa carrière littéraire en tant qu’enseignant, bibliothécaire puis journaliste. N’ayant jamais quitté sa plume, il commence ensuite à vivre de ses mots à travers la littérature jeunesse qui, selon Carl en citant Verlaine, « met de la musique avant toute chose ».

Aujourd’hui, les recueils et les albums jeunesse de Carl Norac sont traduits dans plus de cinquante langues. Sa renommée lui a permis de recevoir le titre de Poète National de Belgique, mandat qu’il a tenu entre mars 2020 et mars 2022.

À l’ombre du soleil du début d’été, Carl s’est livré sur son parcours, ses inspirations et sur la poésie, bien sûr, comme un élément inhérent à sa vie.

 

Quels sont selon toi les liens qui unissent la poésie et la littérature jeunesse ?

Aujourd’hui, je pense que les poètes aiment bien explorer tous les entre-deux. Par exemple, quand j’écris pour la scène, on se demande si c’est un monologue théâtral, un poème ou même un récit. C’est Baudelaire qui, en écrivant des mots en prose, a cassé les obligations. Ensuite, Apollinaire a retiré parfois la ponctuation et a joué avec les mots sur la page. Ce que j’aime donc beaucoup dans la littérature jeunesse, c’est que certains de mes albums sont quelque part entre le conte et le poème. On sait que ce texte est susceptible, comme un poème, d’être dit oralement par une maman ou par un enseignant. Il y donc un poème caché dans chaque histoire qu’on adresse aux enfants.

De manière plus générale, est ce qu’il y a des codes dans la poésie contemporaine et comment te positionnes-tu par rapport à eux ?

Ce qui est assez particulier, c’est que la poésie est un genre qui est toujours à la recherche d’une définition perdue et à réinventer. Je dis souvent aux enfants que la poésie est comme un oiseau que tu crois pouvoir saisir de la main mais qui a une seconde d’avance sur toi pour s’envoler. C’est la part d’inattendu. Alors il y a certains poètes qui veulent réduire le nombre de chaises autour de la table, pour dire : la vraie poésie, c’est ceci et ce n’est pas cela. Et il y en a d’autres, dont je fais partie, qui pensent qu’il y a des mouvements poétiques différents. Autrefois, on appartenait à un mouvement, symboliste par exemple, puis arrivait un autre mouvement pour contredire le précédent. Puis il y a eu une bataille entre une poésie abstraite et une poésie figurative.

Et aujourd’hui, le monde vacille un peu, la poésie reprend ses droits. Mais elle peut naître d’expérience et de style complètement différent. Je suis donc pour le fait que chacun choisisse les poèmes qui lui plaisent et qu’on arrête de formater la poésie. Dans chaque mouvement poétique, il y a des merveilles à découvrir.

Quand tu regardes en arrière, dirais-tu qu’il y a une évolution dans les livres que tu as écrit ?

Pour moi, on a plusieurs virages dans la vie. À l’intérieur de nous, on a une multitude de paysages parfois contrastés et le poème suit le fil de ta vie. Ce qui peut être curieux, c’est que quelquefois on va parler de quelque chose d’un peu intime qu’on va cacher derrière la métaphore. Et celle-ci va toucher quelqu’un d’autre qui va trouver dans ce poème une voix secrète de ce qu’il ou elle ressent.

Est-ce que justement tu as déjà fait l’expérience d’une surinterprétation de l’un de tes textes ?

Qu’il soit enfant ou adulte, c’est très difficile de contredire un lecteur. Parce que, par principe, la poésie est une recherche de polysémie. Il m’est arrivé un jour de lire devant une classe un poème de Jacques Izoard qui, selon moi, parle d’une forme de solitude. Et les enfants y ont plutôt décelé un émerveillement. Je ne pouvais donc pas leur dire : « Non, vous vous êtes trompé parce qu’à mon avis, ce poème ne parle pas de ce que vous dites. »

 C’est ça qui est merveilleux dans la poésie parce que finalement, leur regard valait tout à fait le mien. Dès le moment où on partage un poème, la lectrice ou le lecteur l’emporte où il veut, quelque part dans ses propres expériences ou sur ses propres sentiers.

Quel est, parmi tes poèmes, celui qui te touche le plus ?

C’est toujours celui qui est en train de naître. C’est celui qui est encore au bord de mes lèvres et qui ne sort pas, celui qui est un peu derrière le miroir, mais qui un jour va apparaître dans une lueur. SI je ne devais prendre qu’un poème, j’en choisirais un au sens très affectif.

Comment te décrirais-tu en tant que poète ?

Quand j’étais enfant, je vivais dans une forêt et je voulais partir autour du monde. J’ai été écrivain-voyageur. D’ailleurs j’ai cette particularité de ne jamais écrire chez moi, donc j’écris des poèmes en marchant ou dans les cafés. J’ai besoin d’avoir l’électricité de l’humanité autour de moi.

Le premier grand voyage que j’ai fait c’était en sac à dos. J’étais passé en cachette au Tibet. Et moi qui viens du plat pays, je pensais qu’en arrivant en haut des montagnes, j’allais pouvoir écrire un poème grandiose. J’avais pris un livre de poèmes, Tibet de Victor Segalen, l’immense poète qui a parlé des grands espaces. Et je me suis rendu compte que je n’avais écrit des problèmes que sur les gens que j’avais brièvement croisés dans la montagne. Je suis plutôt un poète à la recherche d’un visage que d’un large paysage.

Ce sont donc les autres qui t’inspirent ?

C’est tout ce qui vibre autour de moi, la source essentielle de la poésie puis que tu retransformes avec ton propre vécu. Et il y aussi cette petite part de mystère d’une phrase qui arrive par devers toi et te surprend. C’est ce que je dis aux enfants, c’est une danseuse qui vient, qui tourne trois fois et qui s’en va. L’inspiration est quelque chose de très fugitif. Et c’est là que réside la beauté, essayer de prendre un instant et en chercher l’infini, et l’étirer jusqu’à ce qu’il compose l’espace d’une page.

En parlant d’Ailleurs, tu as été traduit en cinquante langues. Qu’est-ce que cela provoque ?

C’est vrai que j’ai eu la chance que mon livre Piéton du Monde soit traduit tout autour du monde. Je l’ai reçu en une 50e langue, en khmer, la langue du Cambodge.  Ce n’est pas du tout de l’orgueil mais savoir que les mots écrits d’abord secrètement dans un carnet partent finalement en voyage, c’est quelque chose qui me procure un émerveillement d’enfants.

 Trouves-tu que les traductions sont fidèles et qu’elles ont la même valeur qu’un texte d’origine ?

Aujourd’hui, on demande que le traducteur soit lui-même poète, sinon il y a un problème de musicalité. Il faut arriver à trouver un équivalent musical d’une autre langue. Par exemple, mon livre Petits poèmes pour y aller vient d’être publié en Italie. Et ils ont choisi le titre « mon nid, c’est le monde ». En général, dans des langues que je domine un peu comme l’anglais ou le néerlandais, je me rends compte que les poètes prennent de grandes libertés avec mes textes. Cela peut paraître curieux mais je l’approuve parce qu’il faut qu’un poète s’empare de ta poésie pour qu’elle existe dans une autre langue.

Par exemple, mon père, Pierre Coran, a eu la chance d’être traduit dans une prestigieuse collection aux États-Unis. Le traducteur, qui entre autres a traduit Les fables de la Fontaine pour les Américains également, a choisi de traduire mon père parce qu’il jouait beaucoup sur les rimes, les allitérations et sur des jeux de Mots. Tout cela peut paraître intraduisible, mais pour un grand traducteur, c’est un jeu que de relever le défi de se dire « tiens là normalement c’est extrêmement difficile à traduire et c’est ça qui m’intéresse. »

Lequel de tes ouvrages as-tu envie de mettre en avant aujourd’hui ?

L’envers des circonstances parce que c’est une expérience très particulière d’être poète national de son pays pendant deux ans, de savoir que les poèmes que j’écris sur l’actualité vont être lus par tous les gens qui parcourent le Quotidien du jour. On sort le poème du cercle habituel. Je me suis posé la question de ce je pouvais exprimer à une personne qui, subrepticement, attend son métro, passe dans une rue. J’ai essayé tout simplement lui donner une petite musique à emporter sur son chemin.

 

 

 

Quelques conseils lecture de Carl Norac

Hugo Claus, (1929-2008) poète, dramaturge et scénariste belge, fortement reconnu dans la poésie contemporaine belge

Martin Gagnon, (1964- ) poète et romancier canadien

Achille Chavée, (1906-1969) poète belge francophone. Il est considéré comme le Paul Éluard belge. C’est un poète surréaliste.  

Liliane Wouters, (1930-2016) poétesse, traductrice et auteure dramatique belge, elle est membre de l’Académie royale de langue et de littérature française de Belgique et de l’Académie européenne de poésie. Elle reçoit en 2000 le prix Goncourt de la poésie pour Le Billet de Pascal.

Claire Lejeune, (1926-2008) poétesse belge, soutenue par Liliane Wouters qui lui permettra d’entrer à l’Académie royale de langue et de littérature de Belgique.

 

 

Ouvrages de Carl Norac cités dans cet article

Petits poèmes pour y aller, L’école des Loisirs, 2022

L’envers des circonstances, Maelström, 2022

Un verre d’eau glacée, Le Taillis Pré, 2021

Piéton du Monde, Espace Nord, 2021

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