PoèmesTu seras un homme mon fils

Tu seras un homme mon fils

Et sans dire un seul mot te mettre à rebâtir

A qui viendrait l’idée de contester à La Fontaine ses fameuses fables ? Même si dès l’Antiquité, les fables d’Esope présentèrent la cigale et la fourmi ou le loup et l’agneau, chaque époque a contribué par la suite à renouveler et enrichir le genre, grâce à de nouveaux auteurs, fabulant sur le même thème.

André Maurois est lui un romancier, biographe et essayiste du XXème siècle, qui fut aussi pendant la première guerre mondiale officier de liaison auprès du Corps Expéditionnaire Britannique en France. C’est pendant cette période qu’il réalisa une adaptation du récent poème If de Rudyard Kipling, sous le titre Tu seras un homme, mon fils.

Maurois mérite bien cette mise en avant de l’APPF, puisque, bien plus qu’une traduction – son poème s’attache à rester fidèle au sens plus qu’à la lettre du texte d’origine – il adopte la langue pure et les codes de la poésie classique avec une succession de quatrains formés de trois alexandrins suivis d’un octosyllable.

Cette ode au stoïcisme, aux valeurs de courage et de sagesse, a aussi sa lecture plus dérangeante tant ces qualités attendues paraissent inaccessibles, comme s’il fallait comprendre « Tu ne seras jamais un homme, mon fils ». Pour ma part, j’aime ce poème car j’en reste à ma première impression, celle du lycéen qui découvrit ce texte il y a près de 35 ans, qui l’apprit par cœur et s’en fit une boussole, même si le cap n’est pas toujours simple à suivre !

Très bonne lecture !

Laurent Malhomme

Vice-Président

 

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Tu seras un homme, mon fils

Si tu peux voir détruit l’ouvrage de ta vie
Et sans dire un seul mot te mettre à rebâtir,
Ou perdre en un seul coup le gain de cent parties
Sans un geste et sans un soupir ;

Si tu peux être amant sans être fou d’amour,
Si tu peux être fort sans cesser d’être tendre,
Et, te sentant haï, sans haïr à ton tour,
Pourtant lutter et te défendre ;

Si tu peux supporter d’entendre tes paroles
Travesties par des gueux pour exciter des sots,
Et d’entendre mentir sur toi leurs bouches folles
Sans mentir toi-même d’un mot ;

Si tu peux rester digne en étant populaire,
Si tu peux rester peuple en conseillant les rois,
Et si tu peux aimer tous tes amis en frère,
Sans qu’aucun d’eux soit tout pour toi ;

Si tu sais méditer, observer et connaître,
Sans jamais devenir sceptique ou destructeur,
Rêver, mais sans laisser ton rêve être ton maître,
Penser sans n’être qu’un penseur ;

Si tu peux être dur sans jamais être en rage,
Si tu peux être brave et jamais imprudent,
Si tu sais être bon, si tu sais être sage,
Sans être moral ni pédant ;

Si tu peux rencontrer Triomphe après Défaite
Et recevoir ces deux menteurs d’un même front,
Si tu peux conserver ton courage et ta tête
Quand tous les autres les perdront,

Alors les Rois, les Dieux, la Chance et la Victoire
Seront à tout jamais tes esclaves soumis,
Et, ce qui vaut mieux que les Rois et la Gloire
Tu seras un homme, mon fils.

Texte d’origine : If, de Rudyard Kipling (1865-1936)

Adaptation française d’André Maurois ((1885-1967), dans Les Silences du colonel Bramble (1918)

Illustration : André Maurois en tenue d’officier de réserve, à l’aube de la 2nde Guerre Mondiale

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