Sonnez, sonnez toujours, clairons de la pensée
Victor Hugo (1802-1885), en exil à Jersey, écrit et publie « Les châtiments » en 1853, un recueil de poèmes critiquant le Second Empire qui vient de démarrer et surtout Napoléon III, qu’il avait soutenu pour devenir président de la République en 1848, puis progressivement combattu, jusqu’à la rupture totale consécutive au coup d’Etat du 2 décembre 1851.
Ce poème « Sonnez, sonnez toujours… » décrit une scène biblique, la bataille de Jéricho (Josué, VI) au cours de laquelle Josué conduit le peuple d’Israël à la conquête du pays de Canaan, la terre promise, après avoir erré quarante ans dans le désert.
Josué applique les consignes reçues de Dieu – faire sonner ses trompettes sous l’enceinte de la ville – afin que les murailles s’écroulent.
Hugo reprend ce récit avec une ambition prophétique : il est Josué, les instruments sont sa plume, la ville est l’Empire. Il annonce la victoire malgré les moqueries du monarque et du pouvoir, par la puissance de ses écrits et de ses poèmes qui agissent comme une force divine.
Avec une lecture beaucoup plus terre à terre, on peut aussi, comme moi, aimer ce poème qui nous rappelle la force de la persévérance. Après le mois de janvier des bonnes résolutions, dès février, persévérons !
Bonne lecture!
Laurent.
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Sonnez, sonnez toujours, clairons de la pensée.
Quand Josué rêveur, la tête aux cieux dressée,
Suivi des siens, marchait, et, prophète irrité,
Sonnait de la trompette autour de la cité,
Au premier tour qu’il fit, le roi se mit à rire ;
Au second tour, riant toujours, il lui fit dire :
» Crois-tu donc renverser ma ville avec du vent ? »
À la troisième fois l’arche allait en avant,
Puis les trompettes, puis toute l’armée en marche,
Et les petits enfants venaient cracher sur l’arche,
Et, soufflant dans leur trompe, imitaient le clairon ;
Au quatrième tour, bravant les fils d’Aaron,
Entre les vieux créneaux tout brunis par la rouille,
Les femmes s’asseyaient en filant leur quenouille,
Et se moquaient, jetant des pierres aux Hébreux ;
À la cinquième fois, sur ces murs ténébreux,
Aveugles et boiteux vinrent, et leurs huées
Raillaient le noir clairon sonnant sous les nuées ;
À la sixième fois, sur sa tour de granit
Si haute qu’au sommet l’aigle faisait son nid,
Si dure que l’éclair l’eût en vain foudroyée,
Le roi revint, riant à gorge déployée,
Et cria : » Ces Hébreux sont bons musiciens ! »
Autour du roi Joyeux riaient tous les anciens
Qui le soir sont assis au temple, et délibèrent.
À la septième fois, les murailles tombèrent.