PoèmesComprenne qui voudra

Comprenne qui voudra

La victime raisonnable

J’ai déjà évoqué l’Anthologie de Pompidou qui est dans chaque pièce chez nous, à Paris et en Normandie. Mes enfants n’y ont pas échappé, ce fut un cadeau systématique autour des 10 ans de chacun, qui le reçu avec une bonne grimace en guise de remerciement… N’ayant pas beaucoup lu pendant mes années lycéennes, cette anthologie est un des rares marqueurs de mon adolescence, avec quelques textes appris par coeur à l’époque pour le plaisir de les avoir en moi, et sans doute aussi, je dois bien le confesser, en rêvant de la citation qui fait mouche dans une copie ou une conversation. Dans sa magnifique introduction, Pompidou conclut sur son choix d’Eluard, mort quelques années plus tôt, et dernier de la soixantaine de poètes qu’il nous fait mieux connaître ou, me concernant, découvrir pour la plupart d’entre eux.

Peut-être un peu jaloux devant une telle érudition, je me suis souvent demandé si Pompidou connaissait bien tous ces textes, tous ces auteurs, et si lui aussi avait fait l’effort d’en apprendre certains. Il y a quelques semaines, en déjeunant avec mon très bon ami Eric, la perche « comprenne qui voudra » est lancée, mais je ne peux pas la saisir et poursuivre. Pourtant, j’ai lu cent fois ce poème, à la toute fin de l’anthologie ! Eric m’apprend alors que Pompidou, en conférence de presse à l’Elysée, interrogé sur un fait divers tragique, répondit par ce poème.

Décidément, la poésie est bien un patrimoine qui nous construit et qui nous élève. J’aime ce poème bouleversant, qui raisonne dans notre actualité tourmentée, en nous invitant à conserver un esprit de justice et de mesure en toute situation.

Et bien-sûr, à quelques heures de la remise de notre second prix de l’APPF à Delphine Évano pour son recueil Des Rives humaines, je fais le vœu qu’un de nos adhérents devienne un jour Président de la République, et puisse citer quelques-uns de ses plus beaux vers devant la France entière.

Bonne lecture !

Laurent Malhomme

Vice-Président

 

Pompidou citant Eluard : https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/video/i00016723/georges-pompidou-sur-l-affaire-russier-cite-eluard

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Comprenne qui voudra

 

En ce temps là, pour ne pas châtier les coupables, on maltraitait des filles. On allait même jusqu’à les tondre.

 

Comprenne qui voudra
Moi mon remords ce fut
La malheureuse qui resta
Sur le pavé
La victime raisonnable
À la robe déchirée
Au regard d’enfant perdue
Découronnée défigurée
Celle qui ressemble aux morts
Qui sont morts pour être aimés

Une fille faite pour un bouquet
Et couverte
Du noir crachat des ténèbres

Une fille galante
Comme une aurore de premier mai
La plus aimable bête

Souillée et qui n’a pas compris
Qu’elle est souillée
Une bête prise au piège
Des amateurs de beauté

Et ma mère la femme
Voudrait bien dorloter
Cette image idéale
De son malheur sur terre.

Paul Eluard (1895-1952), extrait de Au rendez-vous allemand, 1944

Illustration : Libération, le Sacre des chauves, de Céline Robbe

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