Poèmesô jeunesse

ô jeunesse

Ivresse et nostalgie

Le poème que j’ai choisi est tiré d’un recueil de 1932 de Robert Desnos, Les nuits blanches. Ce sonnet, intitulé « Ô jeunesse », est un récit désabusé du passage à l’âge adulte, en alexandrins.

Desnos y dévoile une vision pessimiste des enthousiasmes de la jeunesse : les fruits ne passent pas la promesse des fleurs : si les fleurs promettent, et promettent bruyamment, c’est pour mieux pourrir. Devant ce constat, celui qui a été jeune a beau jeu de discréditer d’un sourire un peu triste les emportements de ceux qui n’ont que vingt ans. C’est que ces emportements sont semblables à ceux du cheval qui cabre une fois le joug ferré : il est déjà trop tard.

Le premier tercet situe même dans un cimetière toute la société d’après la jeunesse. On peut ici penser à la réaction de Jouhandeau devant les cortèges de mai 68 : « Rentrez chez vous, dans vingt ans vous serez tous comptables ! ». Après la jeunesse, il n’y a pas d’ailleurs, pas de sagesse, que de l’ennui.

Reste le poète. Il est celui qui, dans le tercet final, ne quitte pas le banquet. Nul espoir ici de renverser l’ordre des choses et de sortir les amis du cimetière (on peut seulement leur souhaiter une fin de vie pleine de naphtaline), la salle est toujours vide et triste. Mais il y a l’ivresse, seule issue, même temporaire.

Il est intéressant d’étudier la figure de l’eau dans le sonnet : dans le deuxième quatrain, l’amoureux vient jeter dans la mer les symboles de la passion, comme il viendrait déposer les armes devant un ennemi vainqueur. Dans le dernier tercet, l’océan est cette fois l’image sensible de l’illimité et de l’unité retrouvée avec l’Univers.

C’est l’occasion de parler ici de Clara Ysé, une de mes chanteuses préférées, qui consacre son premier album récemment sorti à cette figure de l’océan, aussi bien image de ce qui nous tue qu’image de ce qui nous fait vivre.

Desnos, lui, n’aura pas eu le temps de vieillir. Il est mort à 44 ans, dans le camp de concentration de Theresienstadt, après une vie héroïque.


Bonne lecture !

Gaspard Doumenc

Vice-Président

sur Robert Desnos : https://fr.wikipedia.org/wiki/Robert_Desnos

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« Ô jeunesse »

Ô jeunesse voici que les noces s’achèvent
Les convives s’en vont des tables du banquet
Les nappes sont tachées de vin et le parquet
Est blanchi par les pas des danseurs et des rêves

Une vague a roulé des roses sur la grève
quelque amant malheureux jeta du haut du quai
Dans la mer en pleurant reliques et bouquets
Et les rois ont mangé la galette et la fève

Midi flambant fait pressentir le crépuscule
Le cimetière est plein d’amis qui se bousculent
que leur sommeil soit calme et leur mort sans rigueur

Mais tant qu’il restera du vin dans les bouteilles
qu’on emplisse mon verre et bouchant mes oreilles
J’écouterai monter l’océan dans mon cœur.

Robert Desnos, Les nuits blanches, 1932.

Illustration : « Les buveurs », Daumier 1861, The Metropolitan Museum of Art, New York

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