PoèmesL’escale

L’escale

L’escale pour horizon

C’est à mon tour de vous faire voyager dans le monde merveilleux de la poésie et, en ce moment, je pense fortement à mon fils aîné, marin, parti faire le tour de l’Amérique pour cinq longs mois.

De mon Paris morne et pluvieux, j’essaie d’imaginer cette vie au parfum d’aventure qui semble aux antipodes de la nôtre, sédentaire et relativement routinière. Pourtant, comme le marin rêve de l’escale, promesse de détente après une traversée parfois rude, tout un chacun aspire comme lui à se ménager des « escales », moments de repos, de respiration, pour reprendre haleine dans notre vie trépidante.

Jules Supervielle est un fabuleux poète et écrivain franco-uruguayen du XXème siècle, ami d’Henri Michaux, Rainer Maria Rilke, etc.. Il fut très connu de son vivant: en 1960, il est même élu prince des poètes par ses pairs et ses œuvres poétiques complètes ont été éditées dans la Bibliothèque de La Pléiade. Il a également écrit de nombreuses nouvelles et pièces de théâtre, mises en scène par de grands metteurs en scène comme Louis Jouvet.

J’ai découvert ce soir et aimé ce poème plein de sensibilité, d’émotions, de mélancolie, mais aussi d’espérance et qui nous fait voyager au bout du monde. Et pour l’anecdote, il sied à merveille dans mon cas, puisque nous partons dans un mois à peine rejoindre notre fils en escale en Argentine!

Bonne lecture,


Anne Capron
Vice-Présidente APPF

Sur l’auteur : https://fr.wikipedia.org/wiki/Jules_Supervielle

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L’escale

C’est d’abord un bouton de rade sur la mer
Et qui s’ouvre en pétales,
Rare fleur au jardin de l’horizon désert,
Escale !

Je suis las de n’avoir pour compagnon de route
Que des nuages gris changeant à tout moment,
Je suis triste de vingt jours de mer et de doute
Sur le navire obscur qui n’a pas de printemps…

Penché sur le soleil incliné des tropiques,
Je cultive les fleurs légères des couchants,
Mais, jardinier leurré de plantes chimériques,
Je les vois se faner sous la nuit ou le vent.

Escales des matins argentines et fraîches,
Ô fruits salins mûris par les soleils des mers,
Je veux mordre aux douceurs vivaces de vos chairs
Vous qui de loin avez le duvet bleu des pêches.

Je ne vois rien encore à l’horizon figé
Dans le cercle marin que nul phare ne troue ;
Mais mon cœur, devançant tout ce morne trajet,
A déjà vu trembler Santa-Cruz à sa proue…

Jules SUPERVIELLE, (1884- 1960), Débarcadères, 1922.

Illustration : copyright Louis Capron, 2024

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