Le dormeur du val
Il a deux trous rouges au côté droit
Il y a un an, la date anniversaire de la Bérézina nous conduisait à envoyer le poème de l’Expiation, Il neigeait, qui nous plongeait de façon très rude dans les combats intenses de la retraite de Russie.
Contrairement à Hugo, Arthur Rimbaud (1854-1891) évoque ce thème de la guerre avec un décor apaisant et une description féérique de la nature. A seize ans en 1870, très marqué par les combats près de Charleville qui opposent la France à la Prusse, Rimbaud prend le lecteur par surprise avec cette chute saisissante et très dérangeante.
J’aime ce poème dont le dernier vers est ancré en moi depuis l’enfance, comme la démonstration de l’effet de choc voulu par Rimbaud. Alors que nous nous habituons progressivement à l’idée d’un conflit proche de nous mais sans le subir réellement, ce poème agit paradoxalement comme une invitation à profiter des beaux instants, le tragique pouvant arriver par surprise à tout moment.
Très bonne lecture !
Laurent Malhomme
Vice-Président APPF
________
Le dormeur du val
C’est un trou de verdure où chante une rivière
Accrochant follement aux herbes des haillons
D’argent ; où le soleil de la montagne fière,
Luit : C’est un petit val qui mousse de rayons.
Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue,
Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu,
Dort ; il est étendu dans l’herbe, sous la nue,
Pâle dans son lit vert où la lumière pleut.
Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme
Sourirait un enfant malade, il fait un somme :
Nature, berce-le chaudement : il a froid.
Les parfums ne font pas frissonner sa narine ;
Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine
Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit.
Arthur Rimbaud (1854-1891), Poésies, 1870.
Illustration : L’homme blessé (entre 1844 et 1854)- Gustave Courbet – Musée d’Orsay