La Rose et le Réséda
L’Union sacrée
A l’occasion des quarante ans de la mort de Louis Aragon en décembre 1982, plusieurs éditeurs republient ce mois-ci quatre de ses recueils.
Nous sommes nous aussi à la veille de Noël, et probablement d’une période de grandes incertitudes et bouleversements, source d’inquiétude bien sûr mais aussi d’un certain attrait, voire d’excitation pour un futur inconnu, où tout peut changer.
Dans ce contexte ambiant de menaces multiples qui pèsent sur notre avenir, j’ai trouvé particulièrement approprié ce poème puissant, écrit en 1943, qui exalte l’Union sacrée qui doit être la nôtre face à tous ces périls, en particulier grâce à la répétition lancinante du distique: « celui qui croyait au Ciel, celui qui n’y croyait pas ». Celui-ci évoque les courants catholiques (réséda blanc) et communistes (rose rouge) de la résistance française, alliés de circonstances face à l’agresseur allemand pendant la seconde guerre mondiale, tout en reprenant la forme des chansons médiévales afin de faire l’éloge du patriotisme à travers l’amour des deux résistants pour « la belle » (la France).
Enfin, Aragon termine sur une note d’optimisme, que j’ai aimée, car cela correspond bien à mon caractère et à mon espérance, en évoquant la saison nouvelle et le grillon qui rechantera.
Très bonne lecture !
Anne Capron
Vice-Président APPF
P.S.: je réalise que c’est la troisième fois que je vous parle d’Aragon, c’est donc la fin d’un cycle!
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La Rose et le Réséda
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n’y croyait pas
Tous deux adoraient la belle
Prisonnière des soldats
Lequel montait à l’échelle
Et lequel guettait en bas
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n’y croyait pas
Qu’importe comment s’appelle
Cette clarté sur leur pas
Que l’un fut de la chapelle
Et l’autre s’y dérobât
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n’y croyait pas
Tous les deux étaient fidèles
Des lèvres du cœur des bras
Et tous les deux disaient qu’elle
Vive et qui vivra verra
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n’y croyait pas
Quand les blés sont sous la grêle
Fou qui fait le délicat
Fou qui songe à ses querelles
Au cœur du commun combat
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n’y croyait pas
Du haut de la citadelle
La sentinelle tira
Par deux fois et l’un chancelle
L’autre tombe qui mourra
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n’y croyait pas
Ils sont en prison Lequel
À le plus triste grabat
Lequel plus que l’autre gèle
Lequel préfère les rats
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n’y croyait pas
Un rebelle est un rebelle
Deux sanglots font un seul glas
Et quand vient l’aube cruelle
Passent de vie à trépas
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n’y croyait pas
Répétant le nom de celle
Qu’aucun des deux ne trompa
Et leur sang rouge ruisselle
Même couleur même éclat
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n’y croyait pas
Il coule il coule il se mêle
À la terre qu’il aima
Pour qu’à la saison nouvelle
Mûrisse un raisin muscat
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n’y croyait pas
L’un court et l’autre a des ailes
De Bretagne ou du Jura
Et framboise ou mirabelle
Le grillon rechantera
Dites flûte ou violoncelle
Le double amour qui brûla
L’alouette et l’hirondelle
La rose et le réséda
Louis Aragon (1897-1982), « La Rose et le Réséda », mars 1943.
Repris dans La Diane française, Paris, Éditions Seghers, 1944.
Illustration : Les fleurs sur Saint-Jeannet – Marc Chagall