Et recoudre le soleil

Moi Président !

Je parcours du regard nos dix premières lettres bimensuelles poétiques et, au-delà d’une certaine fierté sur ce début de parcours, que vois-je ?

Une ligne éditoriale très orientée Hugo… trois poèmes parmi nos envois proviennent de lui ! Alors oui, bien sûr que c’est un illustre personnage, oui ses poésies sont puissantes et d’un réalisme incroyable, oui c’est beau à lire et à apprendre, mais non, non, et non, cela ne peut résumer notre approche APPF !

La poésie contemporaine, francophone particulièrement, occupe une place fantastique en terme de production, de diversité, d’inventivité. Et pourtant, à l’instar de l’art contemporain, elle est encore trop méconnue. La faire découvrir et la partager, sont une grande partie de notre raison d’être.

Alors moi Président, je corrige ici le tir avec cette merveilleuse proposition de Gaëlle Josse, tirée de son recueil « et recoudre le soleil » aux Editions Noir sur Blanc.

En préambule, son préambule :

« J’ai écrit ces textes dans des carnets, des cahiers, sur des pages volantes, des agendas, des tickets, des listes, des enveloppes, des marque-pages ou dans mon téléphone ; je les ai écrits dans les gares, les trains, les hôtels, les cafés, chez moi, dans le métro, en ville et en d’autres lieux. La poésie demeure pour moi comme une apparition, une attention portée à l’infime, comme le surgissement d’un éclat fugace au coeur de nos vies. L’éclosion d’invisibles soleils. Peut-être, à cet instant-là, les mots peuvent-ils saisir quelque chose de ce jaillissement.
Elle est le regard nu, débarrassé de ce qui pèse, de ce qui encombre, elle est le retour à la source, la lumière qui s’attarde sur un mur, le frémissement qui parcourt un visage, la chaleur d’un corps aimé, elle est le mot que l’on attend et qui nous sauvera peut-être. J’ai eu envie de vous offrir aujourd’hui cette moisson de mots cueillis jour après jour, qu’ils aient été d’orage ou d’allégresse. Mais vivants. Vivants, oui, et vibrants, toujours ».

Belle lecture – que je vous conseille vivement à voix haute et posée – de quelques textes sélectionnés pour vous. Profitez-en, c’est cadeau !

Matthieu Jacquillat, Président APPF

———
et recoudre le soleil

il y a ces chagrins qu’on ne
racontera jamais
ces ombres dont on ne confiera pas la teinte

on se dira ce qu’on désirait enfant
à l’heure de l’éclatant midi
on voulait quoi ? des crayons de couleur
ou une tortue

on se dira ce qu’on n’a pas eu
ce qu’on va inventer ensemble

et nous regarderons
étourdis
tout ce qui demeure à aimer

/////////////////////////////

je tente d’arranger mes jours
en bouquet maladroit
en jardin capricieux

et parfois entre les ronces
une floraison survient

un miracle
et je ne sais pourquoi

/////////////////////////////

pieds nus
aussi légère qu’une ombre
sur le mur de pierre
d’une maison endormie

je raconterai des histoires puisées
au feu des légendes
je chanterai à voix basse une berceuse
dans une langue inconnue

je marcherai dans l’herbe haute et
m’assiérai dans l’odeur de la terre chaude

j’attendrai ce moment celui
du grand bruit du monde un instant arrêté

attendant de glisser le jour venu

comme le vent sur le sable

/////////////////////////////

Et une petite dernière sans doute à apprendre par coeur, tant sa vérité et sa beauté pourraient être utiles à partager dans certains moments de vie.

///////////////////////////////////////////////////////////////////////////////
l’oubli posé
au bord de la route
protège des regrets

ils disparaissent avec le vent

Gaëlle Josse, extraits de « et recoudre le soleil », éditions Noir sur Blanc, collection Notabilia, 2022.